Petite digression autour de la présence humaine sur les photographies de paysage

Il y a une question récurrente qui revient dans presque chaque groupe de travail auquel je participe dans le cadre des Observatoires Photographiques du Paysage. Qu’en est-il de la présence humaine ? Il est très souvent reproché aux photographes de « paysages » de ne pas faire figurer d’êtres humains, ou d’usagers, sur leurs photos. Si une des raisons initiales, le grand format, la photographie lente, la pose, n’a plus tout à fait lieu d’être, la dimension anecdotique reste quelque chose qu’on cherche à évacuer, et bien souvent, la présence humaine est anecdotique. La présence d’un individu va immédiatement attirer l’œil et par empathie ou assimilation, on va s’attacher davantage à l’examiner que les autres éléments de la photo.

Néanmoins, dans le cadre de la commande de la Mission Val de Loire pour un OPPP (OPP participatif), j’essaye de m’attacher à considérer les usages, d’abord pour éviter l’ennui de refaire une photo à l’identique, mais aussi parce que ces paysages ont la particularité d’être en permanence traversés par des usagers, notamment dans un cadre touristique (la Loire à vélo). Je me surprend à parfois attendre que surgisse quelqu’un, à pied, en vélo, en voiture pour « habiter » l’image.

Trois exemples de ces photos, habitées ou pas.

La première, cette année, sur l’ile de Behuard. C’est un endroit que je n’aime pas tellement. Petit village coquet situé sur une ile de la Loire auquel on n’accède qu’à pied, après avoir laissé sa voiture sur un parking à l’entrée. Je m’installe pour ma prise de vue et un cycliste apparaît au loin. Me voyant installé il s’arrête, je lui dit qu’il peut passer qu’il n’y a pas de souci. A quoi il me répond : oh je sais ce que c’est quand des personnes viennent pourrir ma photo en passant devant, je ne veux pas déranger. Mais en l’occurrence, je préfère la photo avec lui que sans lui… alors je l’encourage à passer et fais la photo !

Un autre cas dans la même journée, près du parc des Ardoisières à Trélazé. Lors de la campagne d’origine, il m’était impossible de ne pas passer faire une photo dans le coin, sans pour autant savoir vraiment ce que j’allais trouver. J’avais choisi cet endroit un peu à l’écart, en bordure du site du Parc et cela fait partie des endroits que j’aime retrouver. Grand changement cette année car lorsque j’arrive, il y a des colonnes de tri à gauche de la photo, et sur le terrain situé plus à droite, une immense communauté de gens du voyage. Et devant la barrière que je dois photographier, une voiture entourée d’une dizaine de personnes, en train de vider/remplir le véhicule. Des hommes, des femmes, des jeunes et des plus vieux. Je commence à leur expliquer ce que je viens faire, très peu parlent français (malgré des immatriculation dans le Morbihan et le Finistère). Ils ne veulent pas être sur une photo, on discute un peu et je leur propose de reculer leur voiture le temps de la photo. Comme ça je fais mon boulot et ensuite, ils reprennent leur routine. Une femme plus âgée donne son accord et organise le mouvement. D’autres personnes arrivent pour voir ce qui se passe, je sors mon ordinateur pour leur montrer la photo que je vais refaire. Ils me disent qu’ils me croient, mais j’essaye quand même d’échanger avec eux, de les intéresser à ce que je fais. Voilà la place est libre et je fais ma photo. J’aurais bien sûr préférer le joyeux bordel qu’il y avait à mon arrivée, mais le moment fut quand même sympathique. Comme quoi une photo sur laquelle ne figurent pas de personnages n’en est pas pour autant complétement dépourvue. Mais on touche là à la limite de la photographie qui montre un ici et maintenant, un instant décisif qu’on sent bien imparfait au regard de l’épaisseur d’une histoire, et vous remarquerez que ce paragraphe au sujet d’une photographie vide est le plus long.

La troisième histoire, je vous l’avais raconté l’an dernier, lors d’une reconduction dans le Loiret. Il y a une petite plage improvisée à la confluence de la Loire et du Loiret et chaque année, aux beaux jours des personnes s’y baignent – plus pour longtemps m’a-t-on dit car c’est interdit. Je pose l’appareil et il y a ce couple au premier plan. Je leur explique la démarche et précise qu’ils sont dans le champs de l’image, mais que ça ne me gêne pas car cela fait partie de l’usage du lieu (j’espère au fond de moi qu’ils ne vont pas bouger). Ils vaquent à leurs occupations, la femme va se baigner revient manger, l’homme est sur son ordinateur en télétravail. Je suis finalement content de trouver quelques personnes consentantes pour figurer sur une photo.

Enfin, sur la présence humaine sur les photographies de paysage, il y a ce dernier cas avec lequel je me suis amusé. Il s’agit de la reconduction d’un point de vue à Blois dans le cadre de l’opération Regards de Loire. On y voit un tronçon de la Loire à Vélo. Je pose mon appareil et attend qu’il y ait des cyclistes sur cette piste. Une famille surgit, je fais une photo, puis deux, puis d’autres au fur et à mesure qu’elle s’éloigne, ne sachant pas encore celle que je choisirai en terme de composition. Je me retrouve le lendemain sur l’ordinateur pour la post-production des images. Comme je travaille sur pied, elles sont toutes identiques en terme de cadre, alors je m’amuse et je me dis qu’il y a bien peu de monde sur cette Loire à vélo. Je sélectionne la famille à vélo éloignée dans la deuxième vue et la colle dans la première. Si on regarde rapidement, on voit deux groupes de cyclistes sur cette image, mais il s’agit deux fois du même ! J’ai également livré cette seconde version avec la première, non manipulée, mais sans préciser plus que cela ce qui s’y passe, je lui ai juste donné un numéro bis.

La présence de personnes sur les photographies, au delà de la question des photographies de paysage est devenu de plus en plus compliquée et il est bien souvent plus facile d’éviter des personnages qui vous agressent au nom du droit à l’image dès qu’on pointe un appareil vers eux. Mais parfois, c’est aussi l’opportunité de rencontres et d’échanges, et cela reste quelque chose d’important pour moi.

Toutes les photographies présentées ici sont de Christophe Le Toquin.



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